Aujourd’hui une confession intime, une de celles qu’on fait après la deuxième mug de thé du matin, quand le cerveau commence enfin à accepter que la journée a commencé. L’autre soir, je me suis (re)lancé dans une activité que je qualifie de sport de l’extrême pour noctambules : la généalogie. La plus sportive, celle où on remonte une branche… Vous savez déjà que c’est un peu comme une enquête policière, mais où toutes les victimes, tous les témoins et tous les coupables sont morts depuis des siècles. On passe des heures à traquer un ancêtre dans les registres numérisés, les yeux piquant à force de fixer l’écran, pour enfin trouver l’acte de mariage… et découvrir que les noms de ses parents sont ‘Jean et Marie’. Avec 30 couples ‘Jean et Marie’ dans le village à la même époque. Merci Jean et Marie, ça va être simple.
La surprise
Et puis, au détour d’un acte de mariage en latin de curé, la surprise. Je ne descends pas de Charlemagne par une, ni deux, mais bien trois branches différentes. Le choc. Sur le coup, mon cerveau a fait une triple boucle piquée. Moi, qui considère que réussir à faire manger des légumes à mon ado est une victoire digne de la bataille d’Austerlitz, j’aurais du sang de l’Empereur à la barbe fleurie (Qui en fait avait plutôt des moustaches, et pas tellement de barbe, comme les nobles de cette époque, d’après ce que j’ai lu !). J’ai immédiatement regardé mes mains différemment, m’attendant presque à y trouver un sceptre, ou au moins une grosse chevalière en or. Déception. Juste une tache d’aquarelle.
Mais une fois l’euphorie retombée, une question plus profonde a commencé à germer, une de ces interrogations parfaites pour ce blog des divagations : et si cette lignée impériale, loin d’être un ticket d’or pour la noblesse, était en fait le ticket de tombola le plus commun de l’Histoire ? Et si, au fond, nous étions tous en train de nous ignorer poliment dans la file d’attente de la boulangerie, alors que nous sommes tous des descendants de “Papy Charles” ?
Charlemagne : L'Empereur qui était aussi une Start-up Familiale
Pour comprendre ce bazar généalogique, il faut revenir à la source : le grand Charles lui-même. Charlemagne n’était pas qu’un empereur avec une barbe fleurie et une passion pour les conquêtes. C’était aussi, et surtout, un super-géniteur. Officiellement, on lui connaît au moins 18 enfants, nés de 8 épouses et concubines différentes. Il avait une politique de croissance démographique très… personnelle.
Il ne s’est pas contenté de leur laisser un bout d’Empire en héritage. Il a utilisé sa progéniture comme des pions stratégiques sur le grand échiquier de l’Europe. Son fils Louis a hérité de l’Empire, ses autres fils sont devenus rois en Italie ou en Aquitaine, et ses nombreuses filles ont été mariées aux ducs, comtes et autres grands seigneurs du royaume. C’était la meilleure méthode de fusion-acquisition de l’époque : pas besoin d’OPA hostile quand on peut simplement envoyer sa fille Rotrude épouser le duc du coin.
Résultat : en une ou deux générations, le sang de Charlemagne ne se trouvait plus seulement dans le palais d’Aix-la-Chapelle, mais dans toutes les cours d’Europe. C’était un véritable “Big Bang” généalogique. Le génome carolingien s’est répandu plus vite qu’une rumeur à la machine à café.

La Grande Pyramide (Inversée) de nos Ancêtres
C’est là que les choses deviennent amusantes et qu’on sort la calculatrice. Laissez-moi vous refaire la démonstration : vous avez 2 parents. C’est simple. Eux-mêmes en ont 2 chacun, ce qui fait 4 grands-parents. Puis 8, 16, 32, 64… C’est une croissance exponentielle. Si on continue ce petit jeu en comptant environ 3 à 4 générations par siècle, quand on arrive à l’an 800, l’époque de notre Empereur, on devrait avoir un nombre théorique d’ancêtres qui se compte en milliards de milliards. C’est un chiffre avec tellement de zéros que votre banquier s’évanouirait.
Or, à cette époque, la population mondiale était estimée entre 250 et 300 millions de personnes. On a donc un “léger” problème. Comment peut-on avoir plus d’ancêtres que d’êtres humains sur la planète ? Sommes-nous le fruit d’une illusion mathématique ?
Non, la réponse est juste un peu moins glamour : bienvenue dans le monde merveilleux de l’implexe, aussi appelé “effondrement du pedigree”.
L'Implexe pour les Nuls
L’implexe, c’est tout simplement le moment où votre arbre généalogique, au lieu de s’étendre fièrement comme un chêne centenaire, commence à se recroqueviller sur lui-même comme un bonsaï bien entretenu. Pourquoi ? Parce que nos ancêtres n’avaient pas Tinder. Ils se mariaient avec les gens qu’ils connaissaient. Et dans un village agricole de 200 âmes au plus profond des Flandres, les options étaient limitées. Votre arrière-arrière-grand-tante Gertrude a donc très probablement épousé son cousin au troisième degré, Albert.
Conséquence : Gertrude et Albert, qui avaient des grands-parents en commun, apparaissent plusieurs fois dans votre arbre. Ils occupent plusieurs “cases” d’ancêtres. Votre nombre d’ancêtres réels est donc bien inférieur au nombre théorique.
Et ce phénomène n’est pas réservé aux roturiers ! Les nobles en étaient (en sont encore ?) les champions du monde, toutes catégories confondues. Pour “garder le sang pur” (et surtout les terres et les titres dans la famille), ils pratiquaient l’endogamie à un niveau olympique. L’exemple le plus célèbre et le plus caricatural est celui des Habsbourg. À force de mariages entre oncles et nièces, cousins et cousines, ils ont fini par développer une mâchoire proéminente, le fameux “prognathisme des Habsbourg”, qui est devenue une sorte de signature familiale. Charles II d’Espagne, le dernier de la lignée, était tellement consanguin qu’il était un puzzle génétique à lui tout seul. Son arbre généalogique ressemblait moins à un arbre qu’à une couronne de lauriers, tout y étant entrelacé. Vous pouvez lire mon article sur les implexes en suivant ce lien.
De la Couronne à la Charrue : La Démocratisation du Sang Bleu
Le contexte
“Ok,” me direz-vous, “je comprends pour les nobles, mais moi, mes ancêtres étaient de modestes paysans, mais vraiment modestes alors !” C’est là que la magie de l’Histoire opère. Le sang royal n’est pas resté confiné dans les châteaux forts.
Imaginez un comte du XIIIe siècle, descendant de Charlemagne. Il a cinq fils. L’aîné hérite du titre et du château. Le second entre dans les ordres. Le troisième part en croisade et ne revient jamais. Que font les deux derniers ? Ils n’ont pas de terres. Ils doivent se débrouiller. L’un épouse la fille d’un riche marchand, faisant entrer son “sang bleu” dans la bourgeoisie. L’autre, moins chanceux ou plus rebelle, s’éprend d’une femme du peuple et ses enfants deviennent des artisans ou des paysans. Multipliez ce scénario par des milliers, sur des centaines d’années, et vous assistez à une dilution progressive mais inéluctable du sang royal dans l’ensemble de la population.
Une autre des raisons pour lesquelles presque tous les européens d’aujourd’hui descendent de Charlemagne est que parfois les paysans étaient répertoriés dans les registres comme faisant partie de la maison de leur seigneur. Raccourci très direct vers la noblesse…
Découverte & résultats
Pour résumer, on descend tous plus ou moins des mêmes personnes vivants vers l’an 900 et ayant eu des descendants. C’est déjà une chose.
De plus, Charlemagne ayant eu un nombre plutôt important de descendants, c’est encore plus probable de descendre du fameux empereur. Mais il faut quand même ajouter qu’il n’a pas eu autant de petits-enfants que cela, il était réticent à marier ses filles pour des raisons politiques, et son fils (leur frère donc) Louis les a “invitées” à se retirer dans leur couvent à la mort du père.
Mais quand même, grâce à ce brassage, des généalogistes ont pu prouver que des personnalités aussi variées que la reine Elizabeth II, l’acteur Christopher Lee (qui était d’ailleurs un expert sur son ancêtre Charlemagne), l’écrivain J.R.R. Tolkien, et même le président américain Barack Obama par sa mère, descendent tous de l’Empereur. Vous vous rendez compte ? Le créateur du Mordor et le 44e président des USA sont des cousins très, très, très éloignés. Mais ce ne sont que des exemples, il y en a beaucoup beaucoup d’autres…
Et comment cette soudaine parenté se découvre-t-elle ? On remonte, on remonte et on retrouve une ancêtre (souvent) avec un nom à particule. En Allemagne, en Belgique, en France… Et quand on continue à fouiller ses ancêtres en particulier, on s’aperçoit que non seulement la particule reste, mais qu’on trouve des titres, puis un blason. Bref voilà une lignée noble. Et alors, même si les registres paroissiaux sont devenus rares ou inexistants à ces périodes, la généalogie des nobles est relativement bien documentée… Pour moi c’est un censier (locataire exploitant agricole) du nord de la France près de Courtrai(B), Pol Coisne, qui a épousé une demoiselle UUTKERKE DE EMSRODE vers 1475, par exemple…
Tant pis pour les généalogistes qui ne s’occupent pas beaucoup des lignées maternelles, car c’est par les femmes que l’on retrouve ces lignées nobles puis royales, le plus souvent…

Une cense restaurée dans le Hainaut.
Alors, que faire de cette royauté retrouvée ?
Au final, découvrir qu’on descend de Charlemagne par une, deux, trois ou même quatre branches, c’est une anecdote amusante, un excellent moyen de briser la glace en soirée (“Salut, moi c’est Anne-Noëlle, et mes ancêtres ont fondé l’Europe. Et toi ?”). Euh… En fait non. Mais cela ne nous rend pas spéciaux. Au contraire, cela nous rend extraordinairement normaux.
C’est la preuve ultime que nous sommes tous connectés. Chaque être humain est une mosaïque vivante, un patchwork génétique tissé avec les fils de rois et de reines, de paysans et de bergères, de Vikings et de moines, de héros et de parfaits inconnus. Poétique, non ? Charlemagne n’est qu’un des milliers de fils qui composent notre tapisserie personnelle. Mais comme il était bien documenté et qu’il a eu beaucoup d’enfants, il est le fil le plus facile à retrouver.
Alors, forte de cette quadruple ascendance impériale, qu’est-ce que je vais faire ? Probablement comme vous dans la même situation, pas grand-chose. D’autant que je ne fais pas de la généalogie pour me prévaloir de quoi que ce soit. Je vais continuer ma “noble” quête pour faire manger des légumes à mon plus jeune fils, je vais continuer à oublier où j’ai mis mes clés et à “divaguer” sur ce blog. Mais peut-être avec un peu plus de panache. Après tout, il faut bien faire honneur à l’héritage de Papy Charles.
Et maintenant, la parole est à vous ! Plongez dans votre histoire familiale. Vous pourriez y trouver des surprises bien plus folles qu’un fameux empereur. Un pirate ? Une inventrice méconnue ? Un alchimiste ? Racontez-moi vos trouvailles les plus insolites en commentaire, j’ai hâte de lire vos propres divagations historiques !
En prime, je vous ai préparé un petit tuto pour mettre en évidence dans Généatique vos ancêtre célébres et le nombre de degrés qui vous séparent.
rechercher un lien de parenté
Commencez par amener l’écran de calcul de parenté : menu Rechercher puis Recherche de liens de parenté.


Sélectionnez ensuite dans la partie du haut les 2 personnes aux extrêmes, comme Charlemagne et moi… Et lancez la recherche !

Après une minute, vous obtenez les liens trouvés entre les 2 personnes sélectionnées plus tôt.
Avec le nombre de générations qui les séparent !

Et si vous demandez la réalisation du graphique, vous obtiendrez quelque chose qui ressemble à ceci, j’ai sans doute personnalisé le modèle d’arbre utilisé. Et en plus, je n’en montre ici qu’un bout car il est très haut (39 générations !).

Et voilà…j’espère que vous obtiendrez vous aussi des résultats intéressants avec cette fonction.



